Non, d'abord je ne voulais pas l'acheter ce disque là. Qu'est-ce qu'ils ont ces mecs là à se faire appeler STARSHOOTER ? C'est pas un nom pour un groupe français et ils reprennent Gainsbourg, et moi, j'aime pas Gainsbourg. Alors je passe devant à la Fnac et je le snobe. Je ne prends même pas la pochette pour regarder derrière (c'est ma femme qui l'a fait qui m'a dit qu'il y avait une reprise), je continue mes courses et comme d'habitude je veux 27 disques et je n'ai des ronds que pour trois ! Pourtant, ils m'emmerdent ces mecs, la pochette est énervante, je me dis que s'ils ont laissé la marque du camion c'est parce-qu'ils sont sponsorisés par Berliet et ça m'énerve encore plus, c'est pas très punk d'être sponsorisé. Ils sautent comme des niais et dans cette époque maussade, ya pas de quoi sauter. C'est une nana qui conduit et on a l'impression qu'elle veut les écraser ; si c'est encore ce genre de types qui ne savent pas s'y prendre avec les nanas et qui croient que " la libération de la femme " va les écraser je vais carrément les détester J'ai mes trois disques et je suis frustré, j'en ai laissé plein d'autres et je ne suis pas sûr d'avoir bien choisi alors je fais le geste qui a changé une partie de ma vie : je prends la pochette de Starshooter, je la retourne et je lis d'abord le truc qu'elle a d'écrit en petit au bas du dos : "Un groupe efficace et dynamique dans une société saine ". C'est un peu magique, mon visage s'éclaire, je flaire immédiatement l'humour méchant et rigolard. En plus, les titres sont courts, à quoi ça sert de mettre toutes les paroles de la chanson dans le titre ? Juste un petit mot énigmatique ou percutant et le tour est joué, ya qu'à entendre les fans réduire les titres trop longs pour le comprendre. Eux, les Starshooter, ils ont compris : la liste des chansons ressemble à un télégramme en forme de cadavre exquis : Quelle crise, Baby Jennie - stop - Betsy party à toute bombe - stop - photos en chantier - stop - Collector ! - stop - 35 tonnes accident - stop - inoxydable macho get baque - stop - Le poinçonneur des lilas touche la - fin. Je repose le Bowie et je le remplace par ce disque tout en me disant que Starshooter, ça veut dire qu'on shoote les stars et ça leur fait pas de mal aux stars du rock qu'on leur botte le train un peu, en 1978 elles bouffent tellement de caviar à la louche qu'elles en deviennent bouffies. Tout compte fait, c'est pas un nom con. Dans la queue interminable vers la caisse je regarde encore mes achats et ma femme me dit : " Tiens, t'as pris ce truc là, je croyais que tu n'en voulais pas ? " Je lui fais lire la maxime du bas de pochette et son sourire merveilleux apparaît une fois de plus (rien que pour ça je regrette pas mon coup de tête) " Ah ouais ! Ca promet ! Et leurs tronches valent le coup ! " C'est vrai que Mickey " gaucher lunaire ", Phil " Stevie Wonder ", Jello " solo sérieux " et Kent " le joker ", c'est comme ça qu'on les surnomme en rigolant, invitent à quelque chose qu'on ne connaît pas encore mais qui est tout sauf triste. Les gens dans la queue sont tristes, le magasin est triste, le prix des disques est triste et nous nous marrons. Arrivés à la caisse, le caissier fait la moue. Je lui demande : " Ya quelque chose qui va pas ? " et il répond : " Moi, le rock français " Il dit ça comme on dirait " le camembert chinois ". Il croit sans doute être un puriste ce qui est aussi grave que d'en être vraiment un. Je hais les puristes, ils font de l'eugénisme artistique et tuent la création par trop de consanguinité. Pour le déprimer, je lui répond : " Le rock anglo-saxon est mort, c'est sûr, il n'y a plus que les français pour le sauver ! L'avenir est aux groupes efficaces et dynamiques dans une société saine " Comme il ne sait pas que c'est écrit sur la pochette, il termine de taper, annonce le prix ; prend les sous et rend la monnaie le plus vite possible avec la volonté évidente de me faire déguerpir. Sans blague, faire de la musique comme les Beatles c'est que pour les anglais et nous on est condamnés au pire à Claude François et au mieux à Ferré ? Les Starshooter, eux, ont l'air d'avoir un problème avec les Beatles : ça veut dire quoi ce " Get baque " barré ? Je veux commencer par écouter ce titre là pour piger mais il n'est pas sur le disque, quand je déplace le bras de la platine avant j'ai : " Macho t'es qu'un obsédé ! " et après " pour Invalides changez à Opéra " ? Pas de " Get baque ", il est barré sur la liste, il devait être là et ils l'ont supprimé, pourquoi ? A ce moment, j'ignore tout de l'histoire du titre, qu'il est sorti en 45 tours, qu'ils sont sur le même label que les Beatles et que les paroles les traitent de faiseurs de musique pour retraités. Quelle connerie de leur refuser ce titre sur leur premier album, comme si les Beatles craignaient quelque chose d'un groupe qui les engueule ! De toute manière, on ne peut pas vraiment détester les Beatles quand on fait de la musique avec des guitares électriques, il faut prendre ces paroles autrement mais le second degré semble ne pas faire partie de la panoplie des patrons de majors, encore moins les cris pour survivre car là c'est de ça qu'il s'agit. Je vais écouter l'album en entier, je vais me vautrer sur le divan et je n'aurai qu'à me relever pour changer de face, ce sera plus simple. Trop vite dit ! Dès le premier morceau (Quelle crise, baby) le son et la frénésie me sautent à la gueule. Le son d'abord : on dirait que ce sont des mecs en camisole qui enregistrent dans une cellule capitonnée, c'est étouffant, pas de réverb ou si peu. Et ces guitares qui râpent ! Je fais un effort pour rester assis et ma femme, attirée par le bruit, cesse de bosser dans la pièce d'à côté et apparaît à la porte pendant " Betsy party ": C'est ça Starshooter ? Ouais ! La vache ! Ouais ! Je saisis le prétexte pour me lever et les chansons se succèdent vite. La première face nous a mis un gros pain : entendre défiler tour à tour la junkie suicidée, les vengeurs de banlieue, la star oisive et décadente, les bulldozers, le collectionneur psychopathe et le chanteur qui ne croit pas qu'une nana veuille bien de lui nous laisse un peu pantois, on se repasse la pochette en relisant le peu de mots écrits comme pour chercher une info qui nous serait passée sous le nez. Le nom du producteur (Zacharopoulos) semble échappé d'un album de Tintin et ya même pas le prénom de la voix féminine. On écoute la face B ? Ouais, ouais, bien sûr, vas-y ! Ils en parlent dans Rock'é ou Best ? J'ai lu ça vite fait, je vais rechercher à la cave, si ils aiment pas, c'est des nuls ! Avec eux, on sait jamais Face B : c'est 35 tonnes, ça se calme un peu et on parle en écoutant : Pourquoi il croit que son camion peut séduire à sa place ? Si la fille est montée avec lui c'est pour son sourire, si c'est pour son camion, c'est une conne ! Il est vraiment pas sûr de lui Tu préfères un gros tombeur qui croit les faire craquer avec son volant en cuir et ses sièges en skaï ? L'argument fait mouche, et on écoute " accident " sans rien dire en riant jaune : " la cervelle plein les dents " ! Avec " Inoxydable " je me sens revenu quelques années auparavant quand je bossais sur les chantiers, le riff est minimal et efficace. Puis c'est reparti avec les hommes et les femmes, entre eux ça chie ! Mais on se marre quand même au refrain chanté en chur par Kent et la " fameuse " Chadelaud dont on ignore le prénom. Le poinçonneur des Lilas surprend, ya longtemps qu'ils ont disparu les poinçonneurs et toutes les autres chansons parlent dans l'urgence de choses actuelles, mais on a l'impression qu'ils reprennent ce truc là pour montrer leur état d'esprit vis à vis de ce qui existe déjà et leur version est plus speedée que l'originale et surtout plus morbide : " Trou trou trou trou trou !!!" On conclut sur " Touche la " avec son montage final jouissif façon grenouille qui veut se faire aussi grosse que le buf : " On est Starshooter, on débute et on joue déjà devant des millions de personnes en délire ! En tous cas, c'est ce qu'on veut ! " Eh bien, les mecs, vous avez déjà fait deux nouveaux adeptes aujourd'hui. J'appelle mon pote Eric et je lui dis : " Je t'ai fait une cassette d'un nouveau groupe français : Starshooter, c'est super " Mais il me coupe : " C'est pas la peine, je l'ai acheté aussi et je l'écoute en boucle ! " C'est bien parti pour vous les mecs, non ? Le soir, au lit, j'ai dans le crâne le refrain de 35 tonnes et ma petite femme me dit : J'ai la chanson du camion qui me tourne dans la tête. C'est marrant, moi aussi ! T'as cherché les article sur eux ? Non, j'ai pas eu le temps. Tu le feras demain, j'ai envie qu'ils aiment ça et que ça continue. Oui, moi aussi. On chante : " Un monstre pour bouffer les autoroutes, une fille qui s'endort sur ton épaule ! " Et on se marre comme des baleines. Puis la fille s'endort sur mon épaule. Starshooter est entré chez nous et les choses sont juste un peu plus chouettes Et c'est déjà beaucoup ! A suivre.
Celui-là, on peut dire qu'on l'attendait ne serait-ce que pour remplacer le premier qui était usé : face A, face B, face A, face B … Le vinyl, c'est beau mais ça s'use vite ; en même temps, on les reconnaît aux craquements. Au début ça amuse et c'est pratique pour les blind tests mais ensuite ça énerve et ça gâche le plaisir. J'aimerais avoir assez de sous pour en acheter deux d'un coup, un de remplacement quand le diamant aura fini de creuser irrémédiablement le sillon du premier. Mais je pense que ça va être comme d'hab' : on aura juste de quoi en acheter un, on pourra pas l'économiser, on fera une cassette pleine de souffle et on l'écoutera en reconstituant dans la tête le vrai son d'origine. Le dolby n'est pas encore surround, il n'est que réducteur de bruit et réducteur est un terme qui lui va bien : le son est tout ratatiné, adieu les graves et les aigus, un peu comme le fantôme du disque de départ. Revenons à Starshooter. Ce disque on est allés l'acheter exprès, le jour de sa sortie ou presque. On avait même pas les ronds pour en acheter un (ya des mois comme ça) alors la grosse étiquette avec le prix qui emporte une partie de la pochette quand on la retire nous fout les boules d'entrée mais la pochette nous fait marrer autant que la première : ya qu'eux pour faire un truc pareil, prendre l'air idiot et s'habiller en Ken posant avec des barbies. Ya encore une maxime : " Cette année, la jeunesse sera intelligente et sexy ". Cette année seulement ? On se marre ! Ca me rappelle, dans une fête politique, ce petit mec fan des Stranglers qui gueulait vers la chanteuse qui précédait ses idoles sur scène et qu'il trouvait mièvre : " L'amour est une illusion des années 70 ! " Alors comme ça, tout a commencé hier (et encore) et si ça a commencé plus tôt, on veut pas s'en souvenir. C'est bien ce que dit " Nouvelle vague " qui ouvre l'album : " C'est la nouvelle vague, sans paradis artificiel, sans illusion superficielle, sans mémoire ". Pour amnésique qu'il veulent être, les Starshooter piochent dans des racines qui fleurtent avec les années 50 et le " di di di dou, di di di dou, di di di dou, di di di dou wap wap, dou wap, wap " ramène à une époque où ils ne devaient pas être vieux. Ca m'aide bien, moi qui gratouille avec des potes dans ma cave, si Kent dit qu'on est pas obligés de faire acte d'allégeance pour se servir dans le répertoire, on va pas se gêner, et ça c'est rock, non ? Le feu d'artifice du disque, c'est " Ma vie c'est du cinéma ". Plus de six minutes de bonheur intelligent (Tiens ! Ya plus qu'à être sexy !) Il explique tout, pourquoi il fait du rock, les sacrifices et les rêves que ça représente, sa hargne et la revanche qu'il prend. C'est un manifeste jouissif où Kent " lâche le morceau " : son " père " s'appelait Cochran ! La mémoire lui revient : " Je préfère me souvenir que de devoir supporter un vieux rocker vivant sur son passé qui m'empêche de me faire écouter ". L'épisode Get baque devient totalement compréhensible : Ses tontons s'appelaient Lennon & McCartney mais il est hors de question qu'ils monopolisent la sono, yen a d'autres qu'ont des trucs à brailler ! On lit dans les journaux que certains concerts se passent mal et qu'un soir Phil sort de scène blessé par une canette de bière lancée par un spectateur. Les cons ! Ils gueulent contre la dérive " varièt' " du groupe qu'ils sentent dans cet album voire la trahison à la cause du rock. D'abord le rock, c'est pas une cause, c'est une musique libre, on en fait ce qu'on veut, c'est la règle de base. Et le public lui aussi fait ce qu'il veut : si ça lui plaît pas, il écoute pas, personne le force. " Ya du synthé, dans ta chanson préférée du disque ! "(ma vie c'est du cinéma) me lance comme preuve de mon erreur un copain plus jeune. Ouais, c'est vrai, et on aurait pu s'en passer, mais sur scène, il a disparu le synthé, et l'énergie du groupe est encore là et de plus belle. Les connards idiots, ils vont au concert pour lancer des canettes sur le groupe, ils n'ont qu'à pas y aller ! Je voudrais bien y aller, moi, mais j'ai pas assez de ronds pour payer ma place. Ce qui me console, c'est que mon fils qui est tout bébé écoute le disque avec attention et manifeste de plaisir quand résonnent les premières notes de " Congas et Maracas ", du coup on danse tous les trois, parents et moufflet dans les bras, en braillant le " Ouh ouh ouh ouh ouh ouh " du refrain. Si les lanceurs de canettes ne trouvent pas ça rock, je les emmerde. Eh ! les intégristes ! vous les avez écoutées les paroles de cette chanson ? Vous les avez écoutées mais pas comprises, c'est ça ! C'est trop intelligent pour vous cette histoire du technicien de surface licencié qui envoie tout péter pour flamber. Vous n'avez pas compris les mots choisis un par un et qui font mouche à chaque fois, c'est bien simple, Kent, il pourrait la chanter à capella cette chanson, elle est rock rien que par les mots choisis et leur enchaînement. Les grands courageux planqués dans la foule n'ont pas de souci de porte monnaie, ils n'ont jamais passé de week-end à se faire chier faute de blé et ils n'aiment pas la chanson qui raconte cette galère hebdomadaire. L'album s'appelle " Mode " et il en parle. Le slow, c'est encore un truc de fauché le slow, ya qu 'au corps à corps qu'on peut tenter de compenser les signes extérieurs de richesse qui dispensent de slow, le slow, donc, raconte la compassion de Kent pour les filles " trop jolies pour aimer ". C'est un peu tordu comme façon de draguer : " Il n'y a que moi qui comprenne ta détresse d'être trop belle " mais c'est sans doute efficace. Et c'est rock ! De mettre un slow sur un disque ! Ca aide le prolo ! C'est vrai, j'oubliais, quand on peut se permettre d'aller à un concert pour lancer une canette qu'on a pas bue jusqu'au bout, on est pas un prolo. Reste qu'il ne faut certainement pas dire à une nana comme compliment pour son look : " Je suis comme ton père devant sa télé, c'est très bien comme ça ". L'image du paternel bedonnant et l'œil vitreux, la canette (encore elle !) à la main hypnotisé par des variétés pouraves est pour le moins peu sexy. Mais c'est un cri d'amour, " c'est son speed, l'amour ! ", à toutes les nanas du moment. C'est l'histoire de Loukoum qui vous pose un problème ? Pourtant, elle profite du système du tiroir caisse. Elle ruse trop, c'est ça ! Elle paye de sa personne, elle. Il n'y a que " Radio paradis " qui soit varièt'. Mais avouez que sur un album de " Au bonheur des dames " elle ferait rire ! Plus tard, les journaux font état de l'attitude du groupe qui a réussi à pacifier les concerts en arrêtant tout en cas de projection et en faisant bloc et front aux lanceurs devant la scène. Courageux, les mecs ! Péteux, les lanceurs ! Vraiment, Starshooter n'a pas " trahi ", il est toujours de votre côté et c'est pas parce-qu'il se moque ou qu'il provoque (c'est rock aussi la provoc') que vous devez les sentir hautains. Leur vie " c'est du cinéma " et ils nous en font profiter un peu comme mon pote Ludo qui allait voir des films avec ses parents et qui me les racontait le lendemain. Quand on jouait aux cow-boys, il plaçait des répliques des westerns qu'il avait vus, la classe ! Ma femme me demande : " Tu crois qu'ils se rendent compte qu'ils font un peu partie de notre vie ? " C'est vrai qu'on en parle un peu comme des potes et la gouaille lyonnaise nous est devenue familière et agréable à nous les parigots, on essaye d'imiter Kent : " J'avais l'air de kwouaa, laaa, face à une fille keum ça ". On aime bien aussi Téléphone mais Starshooter c'est notre groupe à nous, il nous cause et si Kent étouffe moins, comme le son de ce deuxième disque, nous sommes contents pour lui, comme pour un copain. " Je suis pas sûr qu'ils se rendent compte de " l'intimité " qu'on a avec eux vu qu'eux ils n'ont pas la même avec nous mais ils ont été fans eux aussi et ya pas si longtemps, alors… " On a le même âge qu'eux et on est pas du genre à aller leur arracher leur liquette mais on met le poster contenu dans le disque su la porte du couloir et on ne le retirera qu'une quinzaine d'années plus tard quand le temps et les tailles successives pour cause de punaises assassines l'auront définitivement détruit. On n'en est pas encore là. On se dit qu'on va économiser pour enfin les voir live et on est vachement contents d'être presque sûrs que l'aventure va continuer. Qui n'a jamais joué de la guitare seul devant glace en prenant des poses de rockeur (rockeuse) n'a qu'à essayer, il (elle) comprendra. A suivre
Pour le fan, la fréquence idéale de sortie d'album est un par mois. Dans la vraie vie, si c'est un par an, c'est très déjà bien. Avec Starshooter, jusque là, on est raisonnablement rassasié : le 1er en 78, Mode l'année d'après, et le petit nouveau, " Chez les autres " en 80. Ce coup là, je ne suis au courant de la sortie de l'album que par les pubs dans les canards de rock : " Le nouveau Starshooter est dans un sac ! ". Et selon les variantes, soit on ne voit pas le disque, soit on voit un truc bizarre (des mecs avec des casques de chantier) qui laisse supposer que c'est la pochette du disque et, " O stupeur ! ", comme on dit dans les vieilles BDs, le tout suggère que le logo des 2 premiers albums a été abandonné au profit d'une écriture banale du nom. Au début, je panique pas parce-que je n'y crois pas. C'est ma femme qui me connaît bien et qui pressent sans doute une réaction vive de ma part, qui m'ouvre les yeux : -T'as vu, ils ont abandonné le logo que tu aimes bien. T'as vu les pubs et t'as rien dit, ça m'étonne… -Non, c'est une pub, c'est pas le disque. -Ah si, c'est le disque ! Regarde. Je regarde. -C'est pas le disque ça ! -SI ! Merde, c'est vrai, elle a raison, c'est la pochette… Comment on peut abandonner un logo pareil, ces lettres sommes toutes banales taillées au cutter. C'est tout con et c'est génial. Il faudra un jour qu'on me dise qui l'a trouvé, Kent ? Et si c'était par hasard sur une table à dessin avec des chutes de papier ou si c'était réfléchi. On fonce à Paris pour en avoir le cœur net. Je me gare avenue Georges V devant les hôtels Prince de Galles ou Georges V. En descendant de ma camionnette, je prends mon air péquenaud pas aimable et les portiers n'osent pas m'aborder pour me dire qu'ils gardent les places pour les bagnoles prétentieuses de leur clientèle. De voir mon " Hiace " au milieu des grosses berlines lustrées à la peau de chamois me réjouit : on dirait la gamelle d'un chien au milieu d'un service de porcelaine. Petit plaisir de banlieusard. Pas le temps de faire le tour habituel dans le magasin, on grimpe les marches 4 à 4 directement vers le " rock français ". Et il est là, et tout de suite j'arrête de râler en dedans et je l'adopte. Il faut dire qu'il a quelque chose de plus. Rien que pour le ranger dans la case nouveauté, les vendeurs ont eu du mal, les autres disques sont bien les uns sur les autres mais celui-là, avec sa pochette en plastique en plus et surtout sa poignée blanche façon sac de magasin à vêtements pour femme, il ne rentre pas dans le moule : les vendeurs ont un peu forcé et je dois démonter toute la pile mal fichue pour en trouver un qui ne soit pas abîmé. Sans déconner, ils ne pourraient pas respecter les œuvres d'art tous ces tordus de la vente ? Ils auraient pu démonter le rayon et lui créer une case à sa taille, en 2 coups de scie c'était fait. J'ai même vu dans une boutique du quartier latin les disques sans la pochette : les gérants les avaient enlevées car " elles gênaient " ! Ya rien que 2 autocollants sur la pochette (si tu les vires, tu bouzilles le tout !). Et encore, je râle mais ce qui remplacera les autocollants, la verrue absolue et indélébile n'a pas encore été mise en place ! C'est bien du code-barre dont je parle… Et j'arrête sinon je vais m'énerver. On reconnaît le boulot des Bazooka / Kiki Picasso " Tous travaux d'art " et on est séduit. Yen a plein des belles pochettes de disques, celle-ci est parmi les plus belles, rendre beau le banal ou même le discutable (des casquettes militaires), c'est de l'art. Il y a 2 pochettes en une : celle qui est transparente contient l'autre. Après avoir payé, je jette le sac fnac et je ma ballade dans la rue mon disque à la main tenu par la poignée. Je suis fier. Arrivé à ma voiture, je suis presque étonné que le portier de l'hôtel ne vienne pas m'ouvrir la porte en commentant mon bon goût. Je me presse de rentrer en pestant contre les savants qui n'ont pas encore inventé la platine à 33 tours de voiture et je me marre un peu en imaginant la taille du coffret extractible qui en résulterait. Décidément ce Kent à la formule qui derma-spray : Pshiittt !… et ça fait mal ! Je ne suis pas comme le mec qu'il décrit dans " Chez les autres "; égoïste et un brin xénophobe, mais la phrase: " Le secret du bonheur n'est pas tendre pour les autres " me laisse songeur un bon bout de temps, il a raison, ya toujours un truc qui va mal quelque part et il faut bien ne pas y penser si on veut vivre un peu heureux mais en même temps, trop de gens souffrent… On a beau avoir tout un tas de trucs modernes, d'abord yen a qu'en ont pas, et nous qui les avons, " on reste souvent assis là où il n'y a pas un chat pour savoir si ça va ". Ca a l'air banal, se rendre compte que le bonheur ne résulte pas du progrès, la belle affaire ! Mais on a l'impression qu'il y a cru. Après avoir râlé contre la génération d'avant : peace and love et cheveux longs, il s'est peut-être dit qu'on avait un début de solution dans la technique et il se rend compte que ça ne marche pas non plus. Malaise, d'autant que " chez les sauvages bronzés, tuer c'est manger, ici chez nous, c'est pour défouler ". La musique est maligne : elle entre d'un coup dans la mémoire Chez les autres-ti-lou-li-lou , Machine à laver-ta-da-da-da-da -da-daa, Lancer sagaies-sagaies-tibididi-dip, Louis Louis Louis -ho-hé-ho-hé-ho, ça onomatopète et alitère à chaque phrase, les mots seuls sont déjà de la musique, comme dans Congas et Maracas. C'est bien simple, quand je veux en parler à mes potes, mes mots se bousculent au portillon : " Ils jouent bien, ya comme du reggae gai, ils ont rien à envier à Police, les chansons causent vraiment aux gens, toutes les chansons se retiennent,… ". Eux se foutent de ma gueule mais ils finissent par écouter car je les tanne et ça marche : " Putain, t'avais raison, ils savent super bien jouer maintenant. ". Quand j'ai commencé à me noyer dans la musique (depuis il m'est poussé des branchies), la basse n'était pas un instrument qu'on choisissait, c'était le moins bon des guitaristes qui la prenait et on disait assez justement qu'une ligne de basse réussie ne s'entendait pas mais qu'on ressentait un gros manque à l'écoute si elle n'était pas là. Eh bien les temps ont changé, des types apprennent la basse d'abord et n'ont pas plus envie que ça de passer à la guitare. J'en sais rien pour Mickey, mais il pourrait très bien être un bassiste d'origine, les lignes qu'il joue sont de la basse pure. Mais il a gardé une réserve qui semble être un de ses traits de caractère qui le met au service du morceau. Il fait pas le mariole, il soutient rythmiquement le tout et répond tantôt à la guitare tantôt à la batterie et pour le coup, s'il n'est pas là, ce n'est plus un manque qu'on ressent mais ya tout simplement plus de morceau. C'est sans doute Jello qui a fait les arrangements, sa guitare est partout là où il faut et ses solos impriment la marque rock au disque. La batterie de Phil est devenue subtile et il se transforme en percussionniste pour certains titres, écoutez Congo Be Bop et vous serez édifiés sur la pertinence du bonhomme. Enfin Kent " Karajan " dirige sa bande et laisse enfin sonner sa voix sur ses paroles. J'aime vraiment ce qu'il écrit (et je ne suis pas le seul quoiqu'en disent les Starshooter qui trouvent qu'ils ne vendent pas assez de disques) bien que j'aie du mal à croire qu'il soit encore ce " ver de terre amoureux d'une étoile " vis à vis des femmes. Le succès de son groupe et son statut de guitariste-chanteur-auteur-compositeur-interprète d'un des deux groupes les plus connus en France (l'autre, c'est Téléphone) l'a hissé au rang " d'idole des jeunes " et côté nanas, il doit refuser des demandes, c'est sûr. Maintenant, " sa vie, c'est du cinéma " et pourtant, il écrit " Elle a Rio " et on le retrouve comme le mec de base à se sentir nul devant une belle gonzesse qui le fait craquer, c'est comme le " Foule sentimentale " de Souchon, même si ces mecs sont des piliers du show-biz, ils n'ont pas oublié d'où ils venaient et ils nous sont proches. Petit flash-back en forme de cauchemar à l'usage de nos jeunes lecteurs : il existait une vieille mauvaise blague qui disait : Qu'est-ce qui est long, dur et que les femmes n'ont pas ? Réponse : le service militaire. " Sale coup " parle de ça. En cette époque bénie, les jeunes hommes voyaient leur vie interrompue par une année passée à obéir, se faire chier, fumer, boire et aller voir les putes, tout ce qu'il faut pour faire un vrai homme. Certains découvraient la plupart de ces passe-temps pour la première fois d'où quelques ravages et dommages collatéraux. Les types qui avaient une activité qui ne souffrait pas d'interruption devaient quand même se soumettre à ce rituel initiatique. Starshooter a failli terminer sa carrière prématurément à cause de ça et Kent s'imagine revenant " de guerre " alcoolique et seul. Ce n'est pas que de la fiction, ça a vraiment existé pour de vrai dans la vraie vie. Quand on a écouté tout l'album, on se dit que sur scène, ça va être grandiose, on va pouvoir chanter les chansons en même temps qu'eux et les anciens morceaux vont être revisités par cette nouvelle expérience. Et surtout " Louis, Louis, Louis " promet un moment délirant. Je me dis que c'est bien parce que la scène internationale est noyautée par des " majors " anglo-saxonnes qu'on a pas droit à Starshooter et son Louis disputant la première place des charts à Police et son " Walking on the moon " ; d'ailleurs, ces deux chansons pourraient créer un courant de reggae volant (les avions et les vaisseaux spatiaux !). Je pense que c'est pas normal que la bande des 4 de Lyon n'ait pas sa place au milieu des catalogués punk à leurs débuts qui vénèrent le reggae. Aux côtés de Police, Clash et Les Ruts, Starshooter apporterait son humour grinçant et la musique de ses mots qui prouve qu'on peut faire du rock avec une autre langue que l'anglais. J'ai eu la bonne idée de faire une cassette avant que le disque se mette à craquer et j'ai même acheté une bande " au chrome " qui coûte la peau mais qui est sensée moins souffler et restituer les aigus correctement. Manque de pot, mon auto-radio bricolé n'accepte que les cassettes à l'oxyde de fer sous peine de s'user, dixit le mode d'emploi. Tant pis, je la passe quand même et les trajets en bagnole en sont embellis. Un soir de mai, dans " Loup Garou ", l'émission quotidienne de Patrice Blanc Francard, j'enregistre le concert que donne le groupe aux 24 heures de Bretagne, une course de moto. C'est vraiment un grand concert, Kent engueule le monde pour le faire bouger et malgré la mono FM, toute l'énergie et la sympathie transparaît. En plus, l'animateur est un grand prince des ondes : le concert est diffusé en entier, il ne parle pas sur les chansons, n'envoie pas de jingle et raconte l'histoire de Mickey qui joue le bras dans le plâtre, poignet cassé ! Ces mecs en veulent et je ne doute plus que ça va se savoir au delà du cercle de leurs fans. Ce disque est vraiment original et révèle une personnalité " de groupe " qui va lui permettre de perdurer et de faire mentir l'adage qui veut qu'un groupe français fait quelques disques puis se sépare pour que les individus qui le composent fassent des carrières solos ; j'en suis alors persuadé… La suite montrera que je me suis planté. En attendant j'écoute en boucle ce concert en pestant à chaque fois que passe Betsy Party qui arrive au bout de 45 minutes, la durée d'une face de cassette et dont l'intro est bouffée pour cause d'auto-reverse paresseux. Ce groupe là va devenir énorme, la machine est en marche, ils le racontent dans " Partir à Zanzibar " : les mecs du show-biz leur font des courbettes en flairant l'oseille. Nous, les fans de base, on est pas jaloux, on veut juste des autres disques comme ça ou autrement ou comme vous voulez. Dès l'instant que vous restez vous mêmes, on vous suit.
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Ouah ! Ouah ! Ouah ! C'est vrai que souvent devant un truc qui nous botte, on manque de vocabulaire. Moi qui suis bavard, je trouve toujours quelque chose à dire que je regrette après. Là, je sais en gros dire ça en rajoutant " putain " mais pas trop souvent car mon gamin qui a grandi cause et ne manque pas de répéter ce qu'il entend. Ce qui provoque cette hébétude qui me donne l'air d'un mérou qui se voit pousser des pattes, c'est la pochette de " Pas fatigué ". Quatre doberman au bout de laisses rigides : pour " ni dieu ", je sais pas, mais pour " ni maître ", c'est sûr que ça marche ! Et ils te regardent avec l'air de vouloir te bouffer tout cru. D'aucuns objecteront qu'avec les pit-bulls on a vu nettement pire et c'est vrai. D'ailleurs, les clébards de la pochette, ils sont classe : ils ont des costards et des menottes en guise de gourmette ! Alors oui, c'est bestial et carnivore, mais avec élégance. Et en plus, Ouah ! Ouah ! (ça va bien avec les chiens. Et puis c'est tout !) Le logo coupé au rasoir est revenu en rouge vif. Et le tout est en noir, blanc et rouge. Qui a dit qu'on avait besoin de plus de couleurs pour s'exprimer ? Picasso ? Où il est qu'on le morde ! Aussi bien dans le magasin où je l'achète que lorsque je laisse traîner la pochette chez moi sur le tapis (les seventies ne sont pas si loin et le niveau de la vie attendra encore un peu pour s'élever jusqu'à la table), je peux noter des mouvements de recul de la part de certains comme si cette pochette allait leur sauter dessus. Alors évidemment, je me marre… Mais pas trop. Parce que ce disque me plaît… et c'est là qu'une fois de plus mes mots sont un peu faibles alors je vais tenter une pauvre image : ce disque me mord. Et deux phrases de Kent me font carrément mal : " Demain c'est trop tard pour changer d'histoire " et " Tu t'arrêtes et t'engraisses ou tu fonces et tu passes ". On connaît tous un peu ça, ce malentendu sur les rêves d'enfant et d'ado. Ca commence petit lorsque la règle tacite est : " Je te laisse raconter tes mensonges bien que je sache pertinemment qu'ils en sont pour que tu me laisses raconter les miens ". Le dialogue est alors à huit ou dix ans : En vacances, mon père me laisse conduire la bagnole. Ben moi pas, mais j'ai une copine qui veut bien que je l'embrasse. Ensuite, on se fait ce cinoche tout seul : " Je fume mais j'arrête quand je veux… Je fais ce boulot de merde pour vivre mais dans ma tête je suis un artiste, un aventurier… " Jusqu'à ce que ce boulot de merde prenne toute la place et que l'artiste ou l'aventurier ne soit plus qu'un souvenir douloureux et honteux. Alors on pourrait dire qu'on est resté là en reniant nos rêves et que Kent, lui, a foncé et est passé, et c'est ce qu'on constate : Starshooter est au sommet, ce disque est produit magistralement par un pro international pour une major compagnie et les musiciens sont enfin rétribués à la mesure de leur talent. Le public est présent aux concerts et on voit même le groupe à la télé ! Pourtant le constat de Kent est encore plus déprimant : Pour être au top, on laisse sur le bas côté tant de choses et de gens que le bilan humain est nettement négatif : de la groupie " papillon de nuit " qui vaut guère plus qu'une Fender, au pote garagiste victime d'un accident au " mois de mai " en passant par la copine infidèle qu'on espionne, on ressent un gâchis de vies imputable au succès. La trilogie " Star Wars " bat son plein et on nous invite à " ne pas sous-estimer le pouvoir du côté obscur " et Kent ne voit que le côté obscur, l'envers de la médaille (Papillon de nuit), le temps qui passe (compter), la lassitude (Fatigué, la course), la solitude (quitte cette place, personne pour quelqu'un, mois de mai) et la mort (Léo song) . C'est sans doute ça le talent : parler de sujets à se taper la tête contre les murs et en faire quelque chose d'excitant qui ne donne pas envie de se taper la tête contre les murs mais plutôt de s'en sortir. Comment ça marche ???? En tous cas, là ça marche. On peut pas dire qu'on avait pas été prévenu, le 45 tours sorti quelques temps auparavant annonçait la couleur : " Quel bel avenir " était un façon de décliner le " no future " et " Méfie-toi des avions " une mise en garde transparente sur la consommation de produits à effets psychotropes très différents du lait fraise des débuts. Le rictus du guitariste dessiné sur la pochette exprimait douleur et rage et c'est pas parce qu'il avait noué correctement ses lacets qu'on était rassurés. Pour en rajouter une grosse louche, la tournée s'appelle : " Tora ! Tora ! Tora ! " qui est le cri soit disant poussé par les kamikazes au moment de l'impact fatal ! (Je dis " soi-disant ", car j'ai la faiblesse de croire qu'à cet instant précis, la plupart devaient être déjà morts de trouille et incapables d'émettre un son quelconque…) Alors quoi ? Cette tournée est celle du sabordage ? On va pourtant aller les voir, on a déjà nos beaux billets achetés le jour de l'ouverture des réservations. Ces tickets sont eux aussi décorés par Kent et c'est un mélange des pochettes de l'album et du single : un des chiens qui joue de la guitare, je vais pouvoir décorer ma cassette du disque avec. En attendant, on l'écoute et le réécoute, ce disque, et plein pot. Un boulot stable a, au milieu de ses multiples inconvénients, l'avantage qu'on a assez de ronds pour acheter (à crédit, faut pas pousser !) un chaîne stéréo de course et qu'on peut faire trembler les murs avec. Ils n'ont pas remis les morceaux du 45t sur le 33, on est donc obligés de faire quatre manips pour tout écouter à la suite mais c'est pas grave : qui a dit que la musique devait être pratique ? Demandez au guitaristes débutants si c'est pratique une guitare ! C'est un gros objet lourd qui fait mal aux doigts, qui scie les avant-bras, et qui ne sort des sons mélodieux qu'au bout de nombreuses heures de douleur… Et pourtant quand ça marche, quel pied ! C'est Alfred de Musset qui a écrit: " les chants désespérés sont les chants les plus beaux " et je suis sûr qu'il aurait inclus ce quatrième disque de notre groupe préféré dans sa liste. Les critiques sont quasi unanimes : c'est une réussite malgré la disparition de l'humour grinçant ; on peut pas toujours rigoler… Dans les films de science-fiction, on voit souvent des mutants, des êtres choisis pour leur potentiel soumis à un traitement expérimental ou à des radiations qui les transforment. J'ai l'impression que c'est ce qui est arrivé à mon groupe préféré. Avec la vie dans le rôle des radiations et Mick Glossop (le producteur artistique) dans le rôle du traitement expérimental. J'imagine ce type analyser le groupe et se dire : " Ils sont murs pour le traitement de choc, amenez-les moi que je leur fasse sortir les tripes ! " Et les quatre mecs de radiner dare dare conscients des risques importants mais consentants. Le résultat est à la hauteur du sacrifice et le triptyque : " blood, sweat and tears " étalé à longueur de chansons. Tout ça renforce nos liens avec eux. Comme avec des nouveaux amis qu'on a vus quelques fois et avec qui on a bien parlé mais sans entrer dans le vif. Ce disque est comme la soirée qui peut durer toute une nuit où on se raconte des choses plus intimes et plus dures. A la fin, on est épuisés mais heureux : on a de vrais amis. Ceux de mes potes qui n'aiment que les premiers disques parce qu'après " ils sont tous récupérés et deviennent commerciaux " s'écrasent mollement, abasourdis et obligés d'admettre le chef d'œuvre. De toutes façons, je mets le niveau assez fort pour qu'on ne s'entende pas parler jusqu'à la fin de la face. Du coup, ils réécoutent les précédents et les trouvent pas mal du tout. Je m'efforce d'avoir le triomphe modeste et je leur fais des cassettes. Le concert est au Palace, à Paris, la salle est pleine et le son très bon. C'est une des premières fois qu'on fait garder le gamin pour sortir et c'est con mais régulièrement, pendant le concert je suis mal à l'aise et je pense à lui. J'ai envie de téléphoner pour savoir si ça se passe bien. On n'imagine pas que quelques années plus tard, on aura des téléphones portables. Le set est beaucoup moins noir que l'album car il inclut pas mal de morceaux des trois premiers et on sent que sur scène, le groupe en général et Kent en particulier est chez lui. Je remarque qu'il " joue " au sens acteur du terme, certains morceaux et selon ceux qui l'ont vu lors des tournées précédentes, c'est une nouveauté. Par exemple, il mime une course effrénée et s'essouffle naturellement pendant " la course ", justement. Il me semble un peu plus enveloppé que sur les photos mais ma femme me fait remarquer que c'est sans doute sa coupe, presque la boule à zéro, qui fait cet effet. On sent aussi qu'il réprime (mal) son envie de gueuler sur le public quand il ne bouge pas assez à son goût. C'est un grand moment de rock quoi qu'il en soit. Les quatre mecs sur scène donnent tout ce qu'ils ont, ils sont complices. Kent et Jello démarrent Betsy Party dos à dos en faisant semblant de s'apprendre l'un l'autre l'intro de guitare. Congas et Maracas dure bien plus longtemps que sur le disque et Kent utilise même un petit clavier et des bongos au milieu de la chanson pour répondre à la batterie de Phil. La Fender Precision de Mickey est impeccable enrobée du flanger qu'on entend sur la version studio. Bien qu'il y ait une petite baston entre les mecs qui arrachent les affiches à la sortie (les mecs, se battre pour des affiches !……) on ressort rassasiés et rassurés : ça continue de plus belle. Ils sont devenus grands comme ils le voulaient, alors ils vont continuer… La suite, vous la connaissez : un jour on apprend que c'est fini, contrairement au titre de l'album, ils se déclarent fatigués et se séparent sans s'engueuler. On est tristes mais pas trop surpris. On leur en veut un peu et puis le temps efface la rancœur pour laisser place à de la reconnaissance. Vous nous avez accompagnés tout ce temps là et c'est déjà pas mal. Il n'en reste pas moins que vous laissez un vide qui n'a pas été comblé depuis. Avis aux jeunes, il y a une place à prendre et elle est belle. FIN