VALENCE / 25 JANVIER
L'idée me trottait dans la tête depuis un sacré bout de temps. Devenir roadie, c'est
finalement le seul moyen de savoir qui sont ces prolos du rock'n'roll.
On en a tellement dit sue eux qu'il fallait voir ça de l'intérieur. Il ne s'agit donc pas ici d'un
papier mégalo, du genre je réalise l'exploit d'être road pendant un mois, mais de se mettre
dans la peau du bonhomme pour s'intégrer à une équipe afin de bien la sentir. Voilà alors, j'y
suis allé…..
Au départ, je voulais faire ça incognito, sans que personne ne sache qui j'étais. Avantage : pas
de cadeau, pas de trucage. Inconvénient : je ne sais strictement rien faire. Ma demandez pas
de changer un plomb, je ne sais même pas où ça se trouve…Le type zéro, quoi. J'aurais donc
été viré au bout de deux heures maximum. Il y avait aussi la solution qui consistait à mettre
uniquement le manager et les musiciens dans le coup. Mais les choses se seraient fatalement
ébruitées. Et mettez-vous deux secondes à la place du type qui apprend qu'on l'a espionné
sans qu'il le sache. C'aurait été très…sec. Au moins. Donc la troisième solution : on fonce.
Qui tourne en ce moment ? Téléphone ? Parti depuis quinze jours. Capdevielle ? Heu…..
Starshooter ? Hé-hé… Coup de téléphone. "bonjour, je suis journaliste à Rock & Folk, je
voudrais faire un papier sur les roads, vous pouvez me prendre ? "
- " ….pardon ? "
" je suis bien chez Gilles Lançon manager de Starshooter ? "
" oui. "
" je voudrais que vous me preniez comme roadie pour la tournée. Je suis journaliste,
c'est pour un papier. "
" Heu…. On peut vous rappeler demain ?… "
" entendu. "
Le lendemain :
" D'accord. Pointe-toi dimanche à 8h30 à Valence. Le premier concert de la tournée
aura lieu dans l'après-midi. Dis donc, heu…. Je te conseille de trouver des vitamines et de
t'acheter une paire de gants de manutention. Au fait, tu mesures et tu pèses combien ? "
" 1M85 , 78 kg. "
" bon, ben si tu ne sais rien faire, on te mettra au SO devant la scène. Allez, salut ! "
" Salut….. "
C'était il y a deux jours, et maintenant je suis dans cette putain de gare de valence à me les
geler, et plus j'y pense plus je me demande quelle idée de couillon j'ai bien pu avoir de
m'embarquer dans un truc pareil. Ca ne vous dit rien, la photo de Pressing, le batteur, le front
ouvert après avoir reçu une canette pleine dans la gueule au festival d'Orange il y a deux ans ?
Peux pas penser à autre chose. Moi, au S.O. devant la scène …. Manquait plus que ça ! Et
vous avez lu ? un road de KCP s'explique : " on doit former une véritable équipe. Donc on ne
peut pas supporter les nazes. D'ailleurs dès qu'un naze arrive dans le groupe, il ne fait pas
long feu. Ce n'est pas mon intérêt de bosser avec un naze, pas vrai ? donc je lui casse la tête,
Normal. " Il faut donc que je m'impose immédiatement comme road et pas comme
journaliste. Sinon, c'est foutu. Problème : je veux toucher à tout. Ce qui suppose l'accord des
autres pour qu'ils fassent l'effort de m'apprendre. Si je tombe sur des gens comme ce type de
KCP, c'est très mal barré….. Aïe, voilà un camion…Vite avaler l'enclume qui reste
coincée… glup. Bonjour l'aventure. De dieu ça va donner.
LYON LE 26 JANVIER
La première heure, j'ai bien cru que j'allais repartir immédiatement sur Paris. Les gars
ont été infernaux. Celui qui est venu me chercher, Julien, n'y a pas été par quatre chemins :
"Ah, c'est toi… Bon je te préviens ; on s'est couché à sept heures, donc j'ai dormi deux
heures… " Direction le Mercedes ( ils en ont deux : deux cinq tonnes qu'ils font passer pour
des trois tonnes cinq, ce qui leur permet de conduire sans permis poids-lourd…)
Ses seuls autres seront pour me faire remarquer sur un ton légèrement exaspéré qu'une porte
de camion ça se claque, vois-tu, parce que, comme t'est barré, au premier virage t'es en
bouillie, tu m'as compris ? Ah, pardon…
Je me fais tout petit, en m'excusant à tous les coups parce que ce n'est pas vraiment le
moment de contredire. Le silence qui suit est insupportable. Et puis Julien se met à raller
contre ses putains de clés qui étaient là pourtant, mais merde à la fin, où elles sont passées, ah
voilà. Pour couper court à toute velléité de conversation, il met une cassette à fond. Sympa,
quoi. On reste sur cette ambiance pendant dix kilomètres, jusqu'au Novotel où les autres
dorment. Là, je ne peux pas m'empêcher de rire. Le luxe de l'endroit jure trop avec la gueule
décomposée de Julien, son Perfecto et sa tignasse rousse en bataille. Lui fonce tout droit vers
l'ascenseur. Je suis. Là-haut, il fait les présentations : " allez debout les mecs. Ca c'est Fred,
ça c'est Francky, et ça c'est … c'est quoi, ton nom ? Ah oui, Christophe… "
FFFFFFF. Commence à m'énerver, celui-là. J'aperçois un hérisson qui tente d'émerger en
gueulant à cause de la lumière ( pourtant, les rideaux sont fermés) et qui s'écroule aussitôt,
raide mort. Dans l'autre lit, rien ne bouge, le bordel est complet. Julien se réfugie dans la salle
de bains. Ils ont des gueules de bois effarante. Je n'ai qu'une chose à faire : lire et relire les
consignes en cas d'incendie. A la septième lecture, le hérisson me lance un salut d'un
enthousiasme douteux. L'autre au fond ajuste une paire de Ray Ban à verres jaunes (quelle
horreur !) et se lance dans ce qu'on peut considérer comme un sourire. Il … parle : " Fais pas
gaffe, on a fait un concert pour des potes, hier, qui s'est terminé en petite fête ce matin…
Donne-nous cinq minutes pour nous cleaner et on sera à toi. "
Hé ! enfin une parole aimable ! Je fais un grand sourire en marmonnant quelque chose du
genre " je comprends ". Et juste à ce moment, Julien sort de la salle de bains, tout sourire,
fraîcheur citron, et me tape dans le dos : " le temps qu'ils émergent définitif, on aura déjà pris
notre petit déj, viens on ne les attend pas. " Ouf La bombe est désamorcée. Il semble qu'une
salle de bains soit la seule chose qui puisse dérider un road au réveil. Talqué, rasé, coiffé et
aftershavé, Julien est quasiment aimable, impressionnant.
Un quart d'heure plus tard, on est tous ensemble autour de petits déjeuners
pantagruéliques, dont on me conseille de profiter largement. J'apprends à les connaître : ils
sont vraiment très jeunes. Francky ( le hérisson de tout à l'heure ) vient d'avoir dix-sept ans ;
Julien ( l'homme aux Ray Ban) et Fred flirtent avec les dix-neuf. Le premier est le road des
musiciens, le deuxième s'occupe des retours, le troisième du light-show. Manque à l'appel
David, vingt et un ans, le sonorisateur et un peu le chef. Notion contestée par Fred, qui
prétend qu'il n'y a pas de hiérarchie chez les Starshoot… A voir. Ils ont tous commencé à
quinze ans, sauf julien qui est le dernier de la bande ; c'est le seul à avoir son bac. En langage
administratif, ces types seraient catalogués comme " cas sociaux avec problème d'équilibre
familial profond ". La sono et l'éclairage leur appartiennent, ils en sont actionnaires à part
égale. Me demandez pas où ils ont trouvé l'argent, c'est un secret d'état. En toute modestie,
ils ont appelé leur boîte Promomusic…
On rigole, on rigole, mais ce n'est pas encore gagné. Ils attendent le
déchargement du camion pour me juger. Ce n'est qu'avec mes gants en main qu'ils ont
débloqué. Clins d'œil entre eux et bloum, Julien me refile un retour ( un " bain de pied ")
dans les paluches qui me plie en deux. Le truc pèse au moins cinquante kilos ! On se regarde
et on éclate de rire ; je suis de la bande.
Le contact avec David a été plus drôle : " Salut, tout le monde ! Bon, c'est où
la scène ? quoi ? Non, c'est pas cette merde ??!! Où est le patron ? c'est vous ? Dites, c'est
quoi ça ? la scène ? Impossible , ça mon vieux, il me faut une avant scène tout de suite,
hein ?… Comment ça, pas avant midi ? ça va pas, non ? A midi c'est le sound check ! non,
non, c'est pas possible, si les gars ne sont pas là dans dix minutes on annule tout, et j'veux
rien savoir, c'est dans le contrat. Démerdez-vous, mon vieux, c'est votre boulot. Bon toi ( il
m parle) amène-moi une table pour ma console. "
" heu, David (c'est Fred qui parle) je crois qu'il pourra pas… "
" Pourquoi, pourquoi tu peux pas ? "
" heu, parce que je ne sais pas où il y en a… "
" ben, qu'est-ce que tu fous là si tu ne sais pas , hein ? "
" Heu, David, deux secondes s'il te plait… C'est le gars de Rock & Folk…. "
"Il aurait du mal à savoir, vois-tu…. "
Un peu stupéfait, le gars David, et puis il vient vers moi, s'excuse. Me prenait pour un
type de la boîte, tu comprends, je m'attendais pas, enfin tu comprends… Tout le monde se
marre : je suis roadie, enfin.
Restait plus que les musiciens et le tour-manager. Ils sont arrivés pile à l'heure. Le
premier à me brancher a été Pressing. En fait, ils ont d'abord tourné cinq minutes autour de
moi avant de l'envoyer en éclaireur. Je faisais le type concentré sur son boulot ( pose de pied
de micro ) juste un bonjour général… A eux de se dévoiler. Ils ont le contact facile et un
préjugé favorable sur l'idée. Kent est venu deux minutes plus tard faire un brun de causette,
Mickey et Jello m'ont observé, sans plus. Après tout, on a tout le temps de se rencontrer… Le
plus straight reste jean-Pierre. Pour lui, je dois faire mes preuves avant d'être membre à part
entière de l'équipe . Il veille à ce que je sois bien, mais son soucis principal reste la cohésion
du groupe. On verra plus tard les développements.
LYON LE 27 JANVIER
Aujourd'hui, day off ( jour sans concert ) Rhâââ… J'ai une sorte de petit bois à la
place des bras, suffirait d'un faux mouvement pour que tout craque. Bizarre, j'aurais cru que
le dos morflerait en premier… Pas de panique, ça viendra en temps utile.
La tournée n'a pas encore pris son rythme de croisière. Toute cette semaine nous
écumons les villes des alentours, ce qui permet de rentrer tous les soirs dormir à la maison ( je
squatte chez David). Le concert de Valence était une sorte de répétition générale pour les
musiciens ; celui de Grenoble, hier, une revue complète du matériel. Aujourd'hui nous
corrigeons toutes les merdes : le groupe en répétition, nous au local de Promusic à souder les
câbles manquants, à terminer les flight cases de la batterie, à reposer des roues manquantes,
bref à tout " cleaner ".
Les deux concerts ont été pour moi le jour et la nuit. A Valence , j'étais le type à tout faire,
incompétence notoire mais bonne volonté évidente. Je tirais, soulevais, poussais, montais et
regardais brancher, ranger, démonter, réparer… A Grenoble, j'avais quelques repères de plus,
donc de quoi assurer un job minimum sans tout le temps demander " et après ? " ou " comme
ça ? ", ou encore " où ça se trouve ? "…Ce n'est pas que ce soit particulièrement compliqué,
mais tout a une place, tout a sa fonction précise, et du plus petit jack au Genie (l'engin qui
supporte les cadres de projecteurs de chaque côté de la scène, c'est soit cour, soit jardin. En
cas d'erreur, tout est à refaire. Or, refaire un taff une fois la scène montée, ça n'a pas grand-
chose à voir avec la scène vide. Je suis assez bien placé pour le savoir : j'ai dû changer tous
les cadres des projos un quart d'heure avant le concert ! Ils étaient morts de rire, les sadiques,
et pas question d'un coup de main : c'est ma connerie, à moi de l'assumer.
Le travail se décompose en plusieurs parties. D'abord déchargement des camions et
mise en place du matériel dans la salle. Moment particulièrement speed : en quinze minutes,
les sept tonnes doivent franchir escaliers, trottoirs et couloirs pour finir sur une scène,
généralement à un mètre cinquante du sol. L'organisateur doit avoir ses roads pour assurer le
gros du transport, mais à valence nous nous sommes tapé tout le tralala, et vaudrait mieux que
ça n'arrive pas tous les jours parce que, comme perte d'énergie, ça se pose là.
Deuxième partie du travail : tout installer. David prend les roads de l'organisateur pour
monter sa sono, Julien câble sa console de retour, Franky installe les instruments, Fred et moi
montons le light-show ; Inutile de préciser que je me suis juré de ne rien câbler. Même s'ils
m'en laissaient l'occasion, pour rien au monde je ne prendrais le risque de le faire. Des
kilomètres de fils à brancher dans des centaines de prises… Suffirait d'un impair pour que
tout disjoncte ! En attendant, mon boulot a été des plus chiants. Ca devait être la chose qu'on
laisse au bizuth, histoire de savoir jusqu'où ses nerfs peuvent tenir… Voyez le topo : après le
travail de force, je devais enlever toutes les gélatines des projecteurs et les remplacer par de
nouvelles couleurs, au goût de Fred. Trois heure à découper des carrés de plastique pour les
enfiler dans des fentes rouillées et tordues qu'il faut cadrer au petit poil pour qu'il n'y ait pas
un millimètre de blanc, ne pas se tromper de bleu, bien différencier l'ambre du orange, le
violine du violet… BORDEL !!! Le pire, et ça ça va être ma torture pendant toute la tournée,
je le sens, c'est de monter en haut d'une échelle complètement vermoulue qui gigote dans
tous les sens pour régler les projos…
Une fois cette panique passée, je vais donner un coup de main à Franky ; Franky est
adorable et très sûr pour les musiciens, mais il ne sais absolument pas travailler. Aucune
méthode, il cavale dans tous les sens alors qu'il suffirait d'un trajet réfléchi pour faire plus
vite la même chose… C'est le seul d'entre nous à être en sueur une heure avant le concert.
Bien sûr, si je n'étais pas là il terminerait quand même à temps, mais deux fois plus
vanné…Je ne comprends rien au sound check. Peut être que ça viendra, mais pour le moment
il y a un maximum de nuances qui m'échappent. Idem pour les retours, je nage en pleine
choucroute. Pour moi, c'est le moment du break, un sandwich vite fait avant d'installer le
matériel du groupe de première partie, quelques minutes avant loe début du concert.
L'excitation que j'ai à vivre la scène me laisse perplexe. D'abord parce que j'ai bien peur que
ça ne tienne qu'au flash de l'amateur qui passe pour la première fois de l'autre côté de la
barrière, ensuite parce que je pense être saturé très vite du groupe ; si pour le moment je
m'éclate comme un fou à tous les concerts, il ne m'étonnerait point d'éprouver une certaine
lassitude envers un répertoire qui ne m'a pas toujours accroch é par le passé…
Il y a un moment très curieux, à la fin des concerts. C'est le speed organisé pour tout
ranger le plus vite possible. Là, tout est automatique, et il y a toujours des gens dans la salle
pour donner un coup de main. Je ne suis pas très précis, mais avec un peu plus d'expérience
je pense bien m'en tirer. Surtout au moment de recharger le camion. Tout est rassemblé
devant la porte, Fred et David amènent les Mercedes, tout le monde aux gants, et hop, en dix
minutes à peine les sept tonnes sont embarquées suivant un ordre complètement précis, le
conducteur dirigeant les quatre autres, et ça défile à toute blinde. Le genre d'exercice violent à
faire le plus rapidement possible ; Ca peut vous paraître idiot, mais c'est le dernier truc de la
journée, et plus on le fait vite, mieux on se porte.
S'agirait pas que quelqu'un relâche la cadence, ça mettrait tout par terre. Reste plus
qu'à s'écrouler dans les camions, un tarpé big mac sous la quenotte, et bonjour Simone, see
you demain pour remettre ça. Dodo.
LYON le 28 janvier
Le concert de Dijon fut l'occasion de découvrir un aspect particulier des tournées : les
groupies… Ca fait partie de la route, et l'ambiance mec en permanence, ça commence à bien
faire. David m'avait tout de suite mis au diapason : " t'as une nénette à Paris ?… Non, j'te
demande ça parce que c'est un peu spécial à ce niveau, les tournées. Laisse tomber les
légendes on n'est pas des loups-garous. Mais c'est pas évident de résister à des promesses.
Autant te prévenir … En plus, si t'as pas ça, t 'emmagasines trop de speed, ce qui te rend
insupportable au bout d'un moment. "
S'en est suivi une série d'anecdotes toutes plus lourdes les unes que les autres, mais ils
insistent pour préciser qu'ils ne sont que des enfants de cœur comparés à certaines tournées
carrément orgiaques. Censure.
Le seul problème, c'est que le nombre de groupies est directement proportionnel à
celui des spectateurs et que cette tournée ci est, au niveau du public, plutôt poussive…
Cela dit, il faut les voir en action dès que le concert se termine ! Infernal. Ils n'ont pas
arrêté de mater pendant tout le show et se perdent en commentaires démoniaques dès que les
lumières se rallument. Qui assurera le premier ? Pour le moment , ils sont plus actifs en
parlottes qu'autre chose. Chou blanc complet, mais je leur fais confiance : à ce niveau aussi,
ils m'ont l'air particulièrement professionnels…
LYON LE 30 JANVIER
Un Truc que j'attendais. Je savais que ça allait arriver, gros comme une maison,
inévitable. E t paf, ça n'a pas raté. La montée de haine… Bon. Le concert de Lyon tout le
monde l'attendait. Les Starshoot sont dans leur ville, pas question de rater la chose. Fred a fait
des frais pas possibles pour l'éclairage , et la démesure de la chose nous a mis dans une galère
inimaginable. Eric ( le frère de Franky ) et trois autres potes de la bande sont venus nous
aider, rien n'y fait : on a speedé comme des malades et terminé le montage en catastrophe.
Evidemment, je me tape les gélatines (ragnagna) , le montage des Genies et deux heures de
vie accélérée avec Franky pour monter batterie, amplis et toute la clique. Les autres étaient au
taff jusqu'au cou, donc je me retrouve à encastrer les cadres des projos. Seul, quand on n'a
pas l'habitude, c'est absolument impossible . Ce bidule de quarante kilos (parce que leurs
cadres fabrication maison , ça ne leur serait pas venu à l'idée de les faire en aluminium, même
pas) doit se glisser dans une barre minuscule à hauteur d'épaule, avec tout qui gigote dans
tous les sens.Et bien sûr c'est pas droit, faut le pousser du cul, bon sang j'y arriverai jamais,
BORDEL MAIS QU'EST-CE QUE JE FOUS DANS CETTE GALERE ? Là-dessus passe un
type qu'on m'a présenté comme régisseur. J'sais pas trop à quoi ça sert, un régisseur, m'enfin
je suppose qu 'en cas de galère ça peut aider. Un peu…
" Eh, s'il-te-plaît ( poli), tu peux me filer un coup de main? "
" qui ça ? Moi ? "
" voui, s'il te plait… "
" Ah, non. "
" Non ? "
" Non. "
Il était cinq heure et demie. Toujours pas de Fred à l'horison, pas de balance, rien n'était
prêt, et ce mec, là, qui me sort ça… Un pied de micro…Vite un pied de micro que je lui
écraaaase sur la gueule. Un meurtre pour l'exemple, là, sur place, qu'il agonise et crève en
bavant. Je hais ce mec jusqu'à la fin de mes jours, surtout quand i lest revenu me dire :
" J'suis pas road, c'est pas mon boulot. "
Plus tard , j'ai vraiment cru que j'allais devenir fou : en plein milieu du concert,
Mickey arrive vers moi et me chuchote quelque chose à l'oreille. C'est pas son genre de
parler, à mickey. Et quand il parle, c'est surtout pas trop fort… J'étais quasiment sourd, juste
derrière les châteaux de sono, et j'ai finalement compris au bout d'une gueulante maison que
le capot de sa basse retombait sur les cordes, d'où impossibilité totale de jouer. Vite un
tournevis cruciforme, et me voilà rappliquant au beau milieu de la scène à essayer de lui
remettre sa vis. Bien sûr, évidemment, la vis tombe par terre et impossible de la retrouver. Les
autres attaquent " Betsy Party " pendant que je cavale à quatre pattes devant la batterie, à
tâtonner et à racler toutes les fentes du plancher, et Mickey qui commence à sérieusement
flipper de ne pas pouvoir attaquer son chorus… Et vous trouvez ça drôle ???
Tout le monde était trop nerveux, ce soir. On aurait pu espérer une bonne décompression
après le concert, macache. Glossop, le producteur dont les musiciens rêvent, est venu les voir
pour la première fois, et ils attendent son avis…En plus commence un ballet qui risque de
durer un bout de temps : Virgin et CBS promettent aux Starshoot des couilles en or pour les
signer, et eux se cognent la tête contre les murs pour savoir chez qui aller. Ce soir , le patron
de Virgin est venu avec les contrats, mais le groupe fait poireauter pour faire monter les
enchères… Soirée bizness et potins. Je me suis branché avec Ducray autour d'un tonneau de
beaujolais sympa…Une cuite pareille, rien de mieux pour se calmer.
Au fait, c'est David qui a décroché la première groupie. Sonnez hautbois, résonnez
musettes…
LYON LE 31 JANVIER
Toujours dans la chambre de David à Lyon , avant de partir… Speech de David et
Franky dans le camion, hier ; en gros, ça a donné ça : il y a dans les grosses tournées une
hiérarchisation incroyable. Et le travail intéressant est bien évidemment celui qui est le plus
haut placé. Les vrais prolos du rock'n roll, ce sont les déménageurs, les roads, ceux qui
déchargent les camions, empilent, attendent la fin du concert pour désempiler, recharger,
dormir trois heures et conduire les poids-lourds jusqu'à la prochaine ville. Même travail qu'un
employé de cirque. Infernal, sauf que le fait de travailler à côté de " stars " donne une aura à
ces exploités de première. Du mythe, rien que du mythe. Ces gens-là dorment dans les
camions ou sur les flight cases pendant le concert, ou encore debout, n'importe où, n'importe
comment, ils bouffent des sandwiches angoissants arrosés de bière en quantité industrielle.
Juste au-dessus, les OS intégrés dans une équipe. Ils sont chargés de préparer le matériel
qu'un contremaître viendra utiliser. Question ambiance, tout dépend de ce technicien. Il peut
passer sont temps à gueuler comme être complètement soudé à son équipe. Les OS dorment
en général à l'hôtel du commerce. Les contremaîtres accompagnent les cadres sup et les stars
au Novotel. Les cadres sup (manager, tour-manager, etc …) bouffent au resto, doivent veiller
à ce que rien ne soit insupportable aux musiciens , etc, etc…Un déménageur ne rencontre
jamais une star, mais il porte le tee-shirt de la tournée… En Angleterre le tarif syndical est de
70F par concert ; En France, il tourne entre 200 et 450, plus 50 si on fait quelque chose
pendant le concert (poursuite, vente de tee-shirts, badges…)
Des usines pareilles tournent de trois mois à un an dans le monde entier. Certains
groupes ne payent les roads qu'à la fin…Question : si on remplaçait le nom du groupe par
Citroën , ça changerait quoi ? Sans être démago, la structure de Starshooter est idéale. A cinq,
on touche à tout et on vit AVEC les musiciens. Je reviendrai sur nos rapports avec eux , mais
sachez qu'on ne se quitte pas ; il y a dix personnes embarquées sur le même bateau, toutes au
même régime…Ici, c'est super…
LYON LE 01 FEVRIER
Il y a des jours comme hier, à Moulins, où il n'y a que de la routine sur scène. Dans
ces cas là, les problèmes ne peuvent venir que du public. Alors je passe mon temps à regarder
et, vu de la scène, c'est assez réjouissant. A tous les coups, on retrouve les mêmes spécimens.
Les pires sont les musiciens frustrés, mes consciencieux qui passent leur temps, bras
croisés, à mater le jeu de guitare de Jello, à ricaner doucement sur une reprise ratée de Phil, à
"discutailler sempiternellement sur les avantages et inconvénients de Vox qui rend mieux que
le Marshall , mais non, mais si, regarde Trust, t'es fou , t'as pas vu ceux de Kiss, putain arrête,
t'y connais rien, mate sa distorsion, purée, comment peut-on utiliser cette antiquité, et comme
ça pendant tout le concert… Autre classique, le grand mec, boutonneux mal foutu qui vient
tout seul et racontera demain à ses potes de première C. Il a les yeux dilatés, reste planté
devant un retour et fixe, fixe, fixe éternellement Kent. Il y a aussi les bandes, l'angoisse , ce
sont les bourrés qui alignent leur collection de Krone sur la scène, qui écoutent trente
secondes et puis poussent tout le monde, draguent lourd, lourd, foutent la trouille aux isolés,
Balancent leurs mégots sur les musiciens, comme ça, pour voir comment ça fait… Il y a aussi
les faux branchés qui snobent, les pour qui c'est la sortie du mois, ceux qui ont confondu avec
le bal du lendemain… Et puis il y a une race à part, pas si courante que ça mais toujours là :
les kids, mômes qe quinze ans tout seuls devant la scène, jeans serrés et boucle d'oreille, qui
ne connaissent qu'une parole sur quatre alors ils inventent le reste, qui regardent hargneux
celui qui a osé les toucher du bout du coude, vrais boules de nerfs qui passeront le lendemain
devant une glace à reprendre les posent de Kent…Ils n'arrêtent pas de supplier les musiciens
de tout donner, tout, tout…
Il y aussi ceux qui passent le concert à nous mater, nous les roads, et qui nous
agressent pour qu'on leur donne un médiator à la fin, s'il-te-plaît, allez quoi, et qui engueulent
quand il n'y en a plus parce que merde, vous les voyez tous les jours, c'est pas comme nous,
tiens, salaud, va…
TOULOUSE LE 03 FEVRIER
Lyon-Toulouse en camion : the road. Ca a son charme, intrinsèquement , c'est
particulièrement chiant ; bouffer des autoroutes, en soi ce n'est pas la grande expérience…
Mais là, c'est autre chose. La tournée commence réellement, nous sommes coupés du monde
pour deux semaines , le reste n'a strictement aucun intérêt. Voyez la carte : on fait le grand
plongeon. Le camion est notre seul endroit familier. Dix heures de route aujourd'hui - cinq en
temps normal - c'est chez nous, notre univers que personne d'autre ne pénètre. Du coup, on
prend ses habitudes. Première formalité : choisir la musique. J'ai beaucoup parlementé, leur ai
même acheté deux cassettes. Peine perdue, j'aurai toujours droit à joe Walsh, Jackson Browne
et autres muzaks d'autoroute. Finalement, on a passé un accord ; Chacun choisit à tour de
rôle une face de cassette, je n'ai donc à subir que deux fois sur trois les gros lourds US.
Heureusement que Franky est un virtuose du tarpé, le seul problème c'est que, la fatigue
s'accumulant, même s'il supprime le trop plein de speed, le tarpé endort carrément David. Et
comme c'est lui qui conduit, vous voyez le topo… J'ai encore des cheveux blancs après notre
sortie de Grenoble. Plus straight, le gas-oil ; Les camions ont une certaine autonomie, mais à
trois heures du matins dans le Massif Central, les pompes ne courent pas les rues. Combiens
de fois a-t-on dévalé les pentes des montagnes en roue libre, à cent vingt. Reste que les
stations service sont les magasins que nous fréquentons le plus. Dix minutes pour s'éclater,
pas besoin de faire un dessin, pour que vous imaginiez le délire que l'on prend devant les
monstruosités qu'ils vendent là dedans (pot de moutarde en forme de chiotte ou presse papiers
imitation pénis…)
La grosse grosse angoisse reste le contrôle de police. Limitations de vitesse jamais
respectées. 90 que Fred ne met jamais, feu arrière qui ne marche pas, mouchard qui a disparu
depuis deux ans… Les chipos ont une prédilection pour les camions, c'est phénoménal. Mais
le jour où l'un d'entre eux pensera à passer le Mercedes sur la bascule, on n'aura plus qu'à
annuler purement et simplement le reste de la tournée. Retrait de permis, immobilisation des
camions, confiscation du matériel en surcharge (autant dire tout), et n'importe quoi en
amende. Rock'n roll, qu'ils disaient…La chose la plus étonnante est la CB du camion de
Fred ; C'est vraiment la seule solution pour trouver du premier coup les salles de concerts.
Toujours un marteau qui passe son temps à guider les gens. Par contre, les conversations avec
les poids-lourds sont d'un craignos… Comme c'est la seule chose qui tienne Fred éveillé, on
est obligé d'y passer. Ces mecs parlent en permanence 1) de leur chargement 2) des poids-
lourds américains 3) des auto-stoppeuses. Mais il n'y a qu'eux pour savoir où trouver un
" gastro " ouvert à n'importe quelle heure et pas trop gerbant.
ENTRE TOULOUSE ET BORDEAU LE 04 FEVRIER
Fred s'isole. Personne ne sait ce qui lui prend, toujours est-il qu'il ne nous parle plus .
Ca fait bizarre dans l'équipe, une sorte de petite tension permanente qui donne une sale
ambiance. Jean-Pierre, le tour-manager, et lui ont eu une longue discussion, mais rien n'a
changé. En attendant, je flippe de plus en plus sur la bouffe. Je ne suis pourtant pas du genre
difficile : les semaines purée qui succèdent aux semaines riz, je connais. Mais hier nous avons
avalé notre je ne sais plus combientième poulet, celui en trop. . En plein milieu du concert,
Jello est parti gerber deux fois. Kent , lui, était atrocement pâle dans les loges. Pour nous, le
coup dur est venu ce matin. Un mal de bide à crever, impossible de faire quoi que ce soit. Je
comprends mieux les habitudes de ne boire que de la badoit, c'est décidé, je m'y mets.
Ce genre de chose n'est pas pour arranger Franky. Ce môme est dans un état
incroyable ; en plus de la rage de dents qu'il trimbale depuis le début, ainsi que des crises
d'asthme qui le prennent de temps en temps, il vient de se coller un tour de reins maison .
Toutes les trois heures, Julien et moi nous nous relayons pour lui faire des massages. Ajoutez
à ça qu'il fume deux paquets par jour, qu'il pèse dans les cinquante kilos et que tous les soirs
il rentre en nage à l'hôtel… Ce type ferait frémir n 'importe quel toubib. Mais si vous lui
enlevez les tournées, il tombera dans une dépression style les Açores au quinze août.
Starshoot c'est sa seule famille et, sorti de ça il glande. On l'a surnommé Franky la p'tite
zone…
BORDEAU LE 05 FEVRIER
On Ne dira jamais assez de bien de Jean-Pierre. Le travail de tour-manager est tout ce
qu'il y a de plus ingrat : quand tout va bien on l'oublie. Le plus fort chez Jean-Pierre, c'est sa
manière d'assurer quand on flanche. Ca nous est tous arrivé, mais hier j'ai eu ma deuxième
monté de haine. Normal : on dort que cinq heures par nuit et j'ai vraiment failli casser la tête
d'un type à cause de je ne sais plus quoi. Jean-Pierre s'est juste mis derrière moi et m'a tendu
un stand de guitare en me disant : " Vas-y, massacre le bien, ça te calmera. " Juste ça. Je me
suis retrouvé niais, complètement, en face de ce mec qui n'était rien, que j'aurais pu achever
avec ce t engin dans les mains. Autre aspect ingrat du boulot en question : aller voir
l'organisateur pour lui demander le cachet alors que le type plonge de trois bâtons… Ou alors
accompagner les musiciens à l'hôtel soixante kilomètres plus loin, puis revenir nous prendre
pour qu'on ne galère pas à chercher l'endroit une demi-heure… Et encore : arriver à
rabibocher les musiciens quand un concert s'est mal passé ; et ce sans prendre parti. Et puis
encaisser les coups de gueule, soigner les durs, durs coups au cœur, tenir la comptabilité,
donner un coup de main en cas de galère, calmer tranquille ou speeder sans énervement…
Des milliards de choses qui font qu'une tournée est un cauchemar ou un paradis.
MAZAMET LE 06 FEVRIER
Trop crevé pour raconter quoi que ce soit…J'en peux plus…mort.
TARBES LE 07 MARS
Pour les musiciens, les télex se suivent chaque soir. Ils sont maintenus au courant de
l'évolution des négociations avec CBS et Virgin, et sont partagés net en deux. Une moitié a
déjà choisi, l'autre est plus indécise. C'est devenu le sujet de conversation N° un entre eux et
nous. A Toulouse, l'antenne locale de CBS est venu tâter le terrain , la décision se prendra à
Paris… Toujours est-il que les propositions sont en or et que, pour un peu, la tête en prendrait
un sacré coup. A part ça, si au début je trouvais déplacé de descendre dans des Novotel, j'en
suis à trouver ça tout à fait quelconque. Vivre en permanence dans une chambre
impersonnelle, c'est tout ce qu'il y a de plus minant. Quand je pense aux groupes moins
friqués qui se tapent la tournée des Hôtels de la gare ou du commerce, j'ai une pensée émue…
Finalement, le Novotel est le seul endroit où l'on soit sûr de trouver du confort ; Et ça n'est
pas du luxe…
TARBES LE 08 FEVRIER
Le pied de micro de Kent est devenu ma hantise sue scène. A trois reprises, tous les
soirs, il s'acharne dessus jusqu'à le démonter en petits morceaux. L'idéal est bien sûr de le
remettre en état pendant le noir entre deux morceaux, mais ils font parfois des enchaînements
tellement rapides qu'on se retrouve planté au beau milieu de la scène alors que les musiciens
attaquent. La seule solution est dons le geste mécanique : surtout ne pas réfléchir, tout faire
automatiquement. Ca commence à venir. Mais le problème est que je suis maintenant
complètement intégré à la bande, et que le groupe ne fait plus aucune différence entre moi et
les autres roads.
Or, dans ces cas là, au lieu de gueuler, ils nous montent des plans d'enfer : Kent est le
grand spécialiste de la chose ; quand il me voit en retard sur la scène, il se précipite pour me
barrer le chemin, appelle Jello qui me coupe la retraite pendant que Mickey veille à ce que je
ne m'échappe pas… Panique totale, plus d'issue. Si, un trou entre les jambes de Kent, hop, je
file à quatre pattes… Jamais vu un autre groupe faire des coups pareils à ses roads. Hier
j'étais complètement bloqué, et comme il est totalement hors de question que je les pousse
( imaginez qu'ils se pètent la gueule…) , je suis resté assis là comme un con, et Kent a pris le
micro " j'vous présente Christophe, préposé aux micros ! "Si vous saviez comme j'en suis
fier… Des plans pareils, il en arrive tous les jours : Julien vient remettre un retour en place,
hop, Kent lui monte sur les épaules ; je remets un pied de micro, vlan, juste quand je repars
Jello en fait tomber deux autres avec un sourire totalement innocent ; Franky replace un micro
de la batterie, boom, Phil lui envoie un méchant coup de baguette sue le crâne, etc. Du coup,
nous cherchons nous aussi à les coincer. Sur " congas & maracas " tout est permis. Il y a un
passage où Kent et Jello laissent leurs guitares pour délirer aux percussions, et là on ne les
rate jamais ; Julien a fait très fort une fois en tendant la cloche à Jello et en remplaçant la
baguette par un marteau. Mais le jour où Jello s'est retrouvé hyper-ringard, c'est quand Julien
a carrément remplacé la cloche par une miche de pain. Dans l'excitation Jello n'avait rien
remarqué , s'est pointé devant son micro et a attaqué gaillardement sur le quignon rassis.
Nous mort de rire. Mais le public ne remarque jamais ce genre de plans.
NIORT LE 09 FEVRIER
Le problème des groupes de première partie me tracassait depuis le début. Je n'arrivais
pas à comprendre l'attitude très straight que l'équipe affichait, et m'étais engueulé avec eux
quand David m'avait dit : "Les groupes de première partie, c'est à la gueule. S'ils nous font
chier, on laisse tomber . S'ils sont sympa, d'accord, un coup de main. Mais j'ai pas à m'en
occuper, j'vois pas pourquoi je me casserais le cul pour eux… " J'avais dans l'idée quelque
chose du genre tout le monde il fait du rock, tout le monde il est cool avec l'autre, même trip,
mêmes angoisses, mêmes galères et tout et tout. Et là, ces mecs qui ne sont pas loin d'être des
crèmes me sortent un raisonnement à la chacun pour soi un chouïa gerboyant…
Mais au fil des concerts, mon opinion a évolué. Maintenant que je suis vraiment road,
je me rends compte que le plus important dans mon boulot est de tout faire pour que le
concert se passe dans les meilleures conditions possible pour le groupe avec qui je travaille.
Alors prenez David qui vient de passer une heure et demie à bichonner un son d'acier. Sa
sono est réglée au quart de poil, et le moindre dérèglement provoquerait un larsen, bête noire
des bêtes noires d'un sonorisateur. Dans ces conditions, il est absolument hors de question de
changer le moindre potard pour le groupe de première partie, même si son son en subit les
conséquences. David est payé pour un job, il n'a pas à prendre des risques qui pourraient le
compromettre pour des gens envers qui il n'a aucune responsabilité. Ca peut paraître dur,
alors nous nous efforçons d'être le plus cool possible en leur offrant le même light-show
(c'est moi qui le fait), en accordant les guitares quand elles sonnent trop faux, en allant même
leur prêter une basse quand il pète une corde… Personnellement, j'hésite à le faire : s'ils en
recassent une, nous serons obligés de changer tout le jeu de cordes de Mickey, et les cordes
neuves d'une basse ont un son extrêmement métallique, tout à fait désagréable. Alors nous
adoptons une politique très nette : si les mecs ne sont pas trop chiants, tout ce qu'ils veulent
(ce qui arrive le plus souvent) ; mais s'ils nous traitent comme des chiens, et certains le font
sous prétexte que nous ne sommes QUE roads, alors là, pas question du moindre cadeau.
NANTES LE 10 FEVRIER
Quel avenir pour un road ? J'ai passé une partie de la nuit à l'Hôtel à discuter avec
Kent du problème, et notre pessimisme est commun. Pour le moment, seuls David et Fred
semblent capables de s'en sortir. David arrivera bien un jour à être ingénieur du son, et Fred
sait trop bien faire tourner Promusic pour ne pas prospérer un jour. Mais Julien ne sait rien
faire d'autre que câbler et régler les retours, et Franky pas beaucoup plus qu'accorder les
guitares… En fait, et je suis bien placé pour le savoir, ce " métier " n'exige aucune
qualification. Mais le fait d'être pris pour une star parce qu'on vit avec des stars embrouille
les têtes. A Lyon, ces gens sont les rois dans toutes les boîtes , et pour un gars de dix-sept ans
c'est carrément Hollywood. J'ai essayé de convaincre Franky de prendre des cours
d'électronique. Peine perdue ; il est trop heureux de servir les Strarshoot. Pas de solution à
l'horizon…
RENNES LE 11 FEVRIER
Mes rapports avec le groupe sont de plus en plus étroits. Pressing a décidé de voyager
avec nous en camion, peut-être autant pour s'éclater différemment et prendre des photos que
pour échapper à la présence permanente des autres musiciens. Ce n'est pas qu'il y ait des
tensions, mais la fatigue, le manque de public et les négociations avec les maisons de disques
leur mettent les nerfs à fleur de peau. Phil a trouvé le moyen de se changer les idées. Le truc
de Mickey est la lecture. Il termine l'œuvre complète de Faulkner et s'envoie facilement deux
cents pages dans la journée. Une fois posé son bouquin, il disparaît téléphoner à sa fiancée
(une demie-heure à tous les coups). La première fois que j'ai vraiment parlé avec lui, c'était
devant une cabine téléphonique…Kent, lui, écrit ses chansons. Soit il améliore les nouvelles,
soit il pond de nouveaux textes.
- il est même venu un soir, en plein milieu d'un poker d'enfer, nous demander des précisions
sur la guerre d'Algérie pour remanier une phrase. Après avoir longtemps discuté avec lui, je
me suis aperçu que ce que je prenais pour des textes sympathiques mais un peu niais était en
fait de redoutables prises de parole au sens bigrement intéressant. Starshooter groupe intello,
qui l'aurait cru ? Jello est, me semble-t-il, le musicien complet de la bande. Extrêmement
ouvert, il passe toutes ses fins de soirée dans notre chambre à discuter de tout et de rien.
Perpétuellement avec sa guitare, il a encore un peu de mal à faire passer toute sa technique et
son feeling sur scène. Mais d'après Franky, les progrès qu'il a fait depuis un an sont sidérants.
C'est le plus maniaque de tous en sound check, et depuis peu le plus fou sur scène. Il
monte en haut des châteaux, saute dans la foule guitare à la main à la recherche de Kent qui
brasse dans les jambes du public… Tous me font des confidences que pour rien au monde je
n'écrirais. En fait , moi qui pensais m'intégrer dans une équipe pour tout savoir sur elle, je
m'en retrouve membre à part entière, prêt à défendre envers et contre tout n'importe quel
morceau du groupe. Je suis devenu le fan N°2 de Starshoot, juste après Constantin. Il y a
même des moments où je me demande si je vais vraiment écrire cet article… Ce serait
tellement plus commode de tout plaquer pour les suivre jusqu'au sommet. Voilà que je
raisonne comme Franky, maintenant . Quand je pense qu'il n'y a plus qur trois concerts…
Coup de blues.
MORLAIX LE 12 FEVRIER
Toute la journée, nous n'avons parlé que d'une chose : ce qui se passera demain. Jour
démoniaque pour eux tous, jour, qu'ils voudraient voir rayé du calendrier, jour d'angoisse et
de flip. Bref, demain est un vendredi 13. Jamais nous n'avons plié le matériel aussi vite. Tout
devait être rangé avant minuit. Et les camions n'ont à aucun moment dépassé le soixante ! Et
ça parce que depuis que Starshooter fait des tournées les vendredis 13 se sont soldés par des
catastrophes en chaîne. La plus belle restant le séjour en prison en Italie de Fred et David pour
dix jours. Mais ils ont aussi connu le Genie qui s'écrase sur un rang de handicapés physiques
(pas une égratignure, alors qu'il y aurait dû y avoir quinze morts) ; et puis la tempête dans un
festival en plein air avec la bâche qui s'arrache et la pluie qui tombe sur les instruments ; et
encore jean-Pierre qui se casse une jambe alors que les camions sont gardés par les flics et
qu'il est le seul à avoir les papiers.
mais il est à cinquante kilomètres ; et des tonnes d'autres qui rempliraient un bouquin.
Demain, jour infernal. Ils sont tellement persuadés que ça va leur tomber dessus qu'ils
risquent bien de créer une galère inconsciemment…
CHASSENEUL LE 13 FEVRIER
Rien. Il ne s'est rien passé ! Et même plus ; ce concert fut celui qui enregistra la
meilleure affluence. Serais-je le bon génie de la bande ? Allez, les gars, le coup du Saint
Christophe, on me l'a déjà fait.
PARIS LE 19 FEVRIER
Demain, dernier concert avant la séparation…Toute la bande squatte chez moi, nous
vivions en cercle fermé sans arriver à comprendre comment les gens peuvent vivre
autrement… Ce coup-ci, j'impose mes disques. Du coup, ils sont tous partis acheter le dernier
Marquis de Sade à la FNAC. Chaque jour, nous décomptons les heures qu'il reste avant ce
concert qu'on voudrait feu d'artifice. Arriver à parler d'autre chose tient de l'exploit ; Une
bande de zombies habite ici, les voisines du dessus n'en finissent pas d'agoniser…
PARIS LE 21 FEVRIER
Ce qu'il y a de plus fascinant dans l'expérience de road de scène, c'est que l'on vit
absolument toutes les émotions des musiciens. Au point qu'une heure avant l'ouverture des
portes, nous avons le même trac qu'eux, la même envie de gerber, les mêmes maux de tête,
les mêmes angoisses, les mêmes émotions. Alors hier ce fut la queue ininterrompue aux
toilettes du palais des arts (qui, soit dit en passant, est la salle la moins bien conçue de toutes
celles que nous avons vues ;) TOUT LE MONDE est venu les voir : Bijou, Téléphone, Lilly
Drop, Virgin et CBS au grand complet, au total cent cinquante invités…
Un public en or, Starshoot pas au meilleur de lui-même, mais quand même, et moi au
milieu de tout ça, partagé entre l'envie de chialer et celle de m'éclater… Une journée d'acier,
avec Jello qui m'a fait tous les plans possibles et imaginables sur scène (il est même venu
m'embrasser en plein milieu du concert). Et Kent qui a sauté trois fois et qui sait que
J'ADORE plonger derrière lui pour le récupérer dans la foule ; Julien qui m'a laissé tous les
micros à remettre parce qu'il savait que j'en mourrais d'envie ; et puis la fête terminée à
l'aurore dans un resto des Halles avec des gens adorables… Le plus beau jour de ma vie. Et
vous n'en avez rien à faire, je continuerai d'écrire partout que Starshoot est le plus grand
groupe au monde même si vous ricanez derrière ce canard. Attendez d'entendre ce que le
groupe vient d'enregistrer à Londres avec Glossop comme producteur et CBS qui raque grâce
à un contrat que même platini n'oserait pas signer…
L'année prochaine, je plaque tout pour suivre leur tournée en tant que road sur scène.
Et RIEN, RIEN ne l'empêchera. J'ai pris un shoot avec mes chouchous. Trop tard, je suis
accro.
CHRISTOPHE NICK.
FRANCKY
Julien & David
Jello ratrappé par C. Nick à Paris
Fred & Julien