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Propos recueillis par Céline Fontana, janvier
2003
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A propos de son nouvel et excellent album, Je ne suis qu'une
chanson, Kent parle volontiers de troisième vie. C'est en effet
la première fois de sa carrière artistique où il se retrouve seul
aux commandes, assumant son projet de bout en bout. Auparavant,
c'était Nouba, et ses influences orientales, ou ses collaborations
avec Enzo Enzo (Juste quelqu'un de bien...). Mais c'est de sa
première vie dont il sera ici question. A 20 ans, Kent et son
groupe Starshooter cartonnaient dans la veine punk-rock des 80'.
LE FIGARO ETUDIANT
- Quel souvenir gardez-vous de l'année de vos 20 ans ?
KENT - Je suis monté sur scène
à 18 ans. A 20 ans, en 1977, il y a eu la reconnaissance officielle
de mon groupe Starshooter. Ce fut une chance inouïe... Je présentais
des planches de BD à Paris et j'ai rencontré un journaliste qui
préparait un article sur les punks. Je crois que, par snobisme,
il a parlé de nous car nous étions complètement inconnus ! Le
lendemain de la parution, on nous a demandé de faire la première
partie de Jacques Higelin à Grenoble. Dans la salle, un éditeur
chez Pathé Marconi est venu nous voir. Trois mois après, on signait.
Notre premier 45 tours s'appelait Pin-up blonde. Le texte était
complètement idiot mais nous ne cherchions pas à faire passer
des messages. Je faisais des textes dans la mythologie rock'n
rollienne !
C'était la confirmation que nous avions raison de nous entêter.
1977 était une année charnière qui suivait une année de doute
total. 1976 avait été une catastrophe : je bossais en usine pour
payer le matériel nécessaire au groupe, j'essayais de vendre mes
BD, on ne trouvait pas de concert à faire : c'était la déprime
totale !
Le fait d'être à Lyon
changeait-il quelque chose ?
Aviez-vous songé à monter à Paris ?
Non, je n'en avais aucune envie. Nous étions profondément contre
le parisianisme. Mais il y avait une énorme frustration car les
choses se passaient lentement en province. On enrageait, en lisant
les revues spécialisées, d'entendre parler de groupes parisiens
qui n'avaient pas encore fait de disques ou des albums que l'on
trouvait mauvais !
Comment avez-vous vécu
le succès ?
Le succès est venu rapidement, en un an ou deux. Nous étions
tellement ambitieux que cela nous paraissait très long ! Et, quand
les choses arrivaient, nous trouvions ça normal puisque nous étions
le meilleur groupe du monde ! Mais j'ai eu la chance que le succès
ne soit pas exactement celui que je souhaitais, la chance de n'avoir
pas rencontré les gens qui auraient fait de Starshooter un groupe
à midinettes car je crois que nous aurions foncé.
Etiez-vous révolté ?
Oui, contre ce que je pouvais entendre en radio ou contre la
génération précédente -68 - qui s'enlisait. Je suis arrivé en
queue de cette génération hippie-baba avec un rien d'ironie. J'étais
assez ignorant de ce qui s'était passé. Je n'avais pas conscience
que je leur devais une certaine forme de liberté.
Avez-vous la nostalgie
de cette époque ?
A 20 ans, sous mes airs rebelles, j'étais vraiment malléable.
Je fantasmais sur des choses mais n'avais pas de conscience artistique
réelle, je n'étais pas intègre. Pour cela, je ne suis pas nostalgique.
Par ailleurs, quand on a 20 ans de plus, on apprécie mieux ce
qui nous arrive. On fait durer le plaisir. A 20 ans, on se saoûle
la gueule à la bière, plus tard on déguste un bon vin à petites
gorgées...
Aimeriez vous avoir
20 ans maintenant ?
Je ne crois pas. Il y a certes des étudiants qui se mobilisent,
qui vont à des réunions Attac, qui cherchent à savoir pourquoi
on en est arrivé là et comment en sortir. Mais je trouve les gens
de 20 ans aujourd'hui abattus, ou plutôt impuissants. Cela peut
se changer en apolitisme total – on va faire des raves et
le reste on s'en fout – et c'est dommage. Mais je suis peut
être ignorant.
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